Présentation de l’Institut Français de Chirurgie de la Main spécialisé dans les pathologies de la main – IFCM
Qu’est ce que la maladie de Wartenberg ?
La cheiralgie paresthétique est l’autre nom du syndrome de compression de la branche sensitive du nerf radial au poignet. Ce nom a été donné par son premier descripteur, Robert Wartenberg (1887-1956), neurologiste d’origine lituanienne, exilé en Allemagne à Fribourg puis aux Etats-Unis, à San Francisco, en 1935. Il décrit en 1932 ce syndrome qui porte aussi son nom et rapporte 5 cas : 1 cas est traumatique, 1 cas est lié à une compression chronique par un bracelet de montre et 3 cas sont liés à une activité manuelle intense. Un des cas est diabétique. Wartenberg en fait une description précise: le syndrome associe des douleurs du bord radial de la main, des troubles de la sensibilité dans le territoire sensitif du radial, un “pseudo-Tinel” au point d’émergence du nerf.
Les douleurs sont aggravées par l’hyperextension, la pronation et la déviation cubitale du poignet. Cette publication est en langue allemande et ne connaîtra de ce fait qu’une diffusion limitée, jusqu’à sa traduction en anglais par Ehrlich et MacKinnon .
Comment cette branche peut elle être comprimée ?
La branche sensitive du nerf radial (BSR) se détache du tronc du nerf radial au coude, chemine à la face profonde du muscle long supinateur (BR) et émerge de l’aponévrose antébrachiale entre le premier radial (ECRL) et le long supinateur (BR). En profondeur, elle repose directement sur le radius. Son point d’émergence se situe environ à la jonction du tiers inférieur et des deux tiers supérieurs de l’avant-bras. Les tendons du premier radial et du long supinateur forment à ce niveau-là une « paire de ciseaux ouverte » en direction distale et entre les lames desquels émerge le radial. La « paire de ciseaux » est ouverte en supination et en extension du poignet, le nerf est alors détendu. Elle se ferme sur le nerf et peut le comprimer en pronation et en flexion du poignet de même en déviation cubitale.
Plusieurs étiologies sont possibles:
- tous les mouvements répétitifs d’extension – flexion du poignet – déviation cubitale (frapper avec un marteau) et de pronation – supination (utiliser un tournevis).
- la compression de la BSR directement sur le plan osseux dur du radius par un objet extérieur: bracelets de joaillerie ou bracelets de montre (qui peuvent aussi comprimer la branche cutanée dorsale du nerf cubital)
- Les menottes peuvent aussi jouer ce rôle (paralysie du prisonnier)
- le syndrome compressif de la BSR peut aussi traduire une mononévrite et il faudra rechercher un diabète.
- une ténosynovite de Quervain peut entrainer elle-même une atteinte de la BSR.
- une variante anatomique locale du long supinateur (BR) : plusieurs auteurs ont décrit une variante anatomique (présente dans 3% d’une série de 150 dissections pour Turkof) dans laquelle la BSR émerge du fascia à travers un dédoublement du long supinateur
- d’autres causes plus rares ont été décrites :ganglions, kystes, lipome, séquelles de fracture, séquelles d’injection locorégionale, AIDS, piqure d’araignée, etc…
Quelle est la symptomatologie?
La douleur motive la consultation presque toujours. Elle est située sur le bord radial de la main et sa localisation n’est pas toujours bien précisée par le patient. Elle est aggravée par les mouvements du poignet et par la préhension (aussi bien le “grasping” que le “key pinch”). Elle est rarement nocturne contrairement aux habituels syndromes canalaires. Les dysesthésies ou paresthésies douloureuses ne sont pas toujours présentes. La perception d’une sensibilité subjective normale (alors que les tests spécifiques démontrent souvent des perturbations) est due au fait que chez 3 patients sur 4, les branches terminales du nerf musculocutané contribue à l’innervation du dos de la première commissure: Mackinnon a démontré, dans 94 dissections cadavériques que les branches du radial et du musculo cutané se chevauchaient partiellement dans 37% des cas et complètement dans 38% cas pour assurer l’innervation du dos de la première commissure . Dans 25% seulement des cas, l’innervation de ce territoire n’était assurée que par le radial.
L’aspect de la main est normal. Il n’existe pas de trouble vaso-moteur qui évoquerait une algodystrophie ou Sudeck syndrom.
La palpation permet de découvrir un point douloureux à la jonction du tiers distal et des deux tiers proximaux de l’avant-bras.
La percussion de ce point, situé proximalement par rapport à la première coulisse des extenseurs, provoque des paresthésies et des fourmillements sur le dos de la première commissure : c’est le syndrome irritatif ou pseudo-Tinel.
Le testing de la sensibilité : effleurement, diapason, piquer / toucher, discrimination des deux points statiques, test des microfilaments (Sammes-Weinstein) montre des altérations par rapport au côté opposé.
Le test de Finkelstein est, tout comme dans la ténosynovite sténosante de De Quervain, positif : flexion du pouce dans la paume, flexion par dessus le pouce des doigts longs et déviation cubitale du poignet provoque des douleurs sur la branche sensitive du nerf radial et des paresthésies dans le territoire correspondant.
Le test de Dellon et Mackinnon serait plus spécifique : hyperpronation de l’avant bras le poignet en position neutre. Le test est positif si des paresthésies douloureuses dans le territoire cutané du radial apparaissent après une minute.
Existe t il des diagnostics différentiels?
– La ténosynovite sténosante de De Quervain:
Les symptômes liés à cette affection sont très semblables à ceux de la cheiralgie paresthésique si bien que cliniquement il est facile de les confondre. Par ailleurs ces deux affections peuvent être présentes simultanément et même plus, la ténosynovite sténosante peut provoquer une irritation de la branche sensitive du radial et la libération des tendons chirurgical des long abducteur et court extenseur dans leur coulisse peut supprimer les symptômes neurologiques.
L’intrication des ces deux pathologies ne doit cependant pas nous faire oublier les signes spécifiques de chacune:
– il existe un phénomène inflammatoire dans la ténosynovite de Quervain: on palpe des crépitements à la mobilisation active des tendons concernés. Il peut y avoir œdème, rougeur et chaleur et la symptomatologie se situe classiquement à l’aplomb de la styloïde radiale en regard de la première coulisse où il existe une voussure. Le signe de Finkelstein est positif. Une échographie ou une IRM montre des tendons augmentés de volume, parfois fissurés et un épanchement liquidien de la gaine .
– la cheiralgie paresthésique est au moins initialement un phénomène compressif et le point douloureux est plus proximal que dans la ténosynovite sténosante et surtout il existe un vrai signe irritatif local: la percussion de la BSR provoque des paresthésies dans le territoire cutané correspondant.
Le bloc de la BSR à son point d’émergence peut être un geste utile pour différencier les cas franchement douteux mais il n’est fiable que si le bloc est haut et réalisé avec précision au contact du nerf.
– La compression de la branche cutanée sensitive du nerf musculo-cutané au coude:
Les symptômes, pour les raisons évoquées plus haut (recouvrement des territoires d’innervation) peuvent être très semblables. Un bloc du MC au coude, dans la coulisse bicipitale externe, permettra de préciser l’étiologie des troubles.
Quels sont les examens complementaires utiles ?
L’electromyogramme peut objectiver un ralentissement de la vitesse de conduction sensitive entre coude et poignet et une diminution de l’amplitude des potentiels d’action de la BSR . Un EMG positif renforce l’hypothèse diagnostique mais un examen normal n’exclue pas la réalité d’une compression locale. Mackinnon et Dellon ont publié les valeurs normales de ces paramètres sur une étude de 60 BSR chez des patients asymptomatiques . Cet examen n’est pas absolument fiable compte tenu des rapports que la BSR entretient avec les branches sensitives terminales du MC. Spindler propose de calculer les mêmes paramètres sur la BS du MC et de comparer.
Mais ces deux diagnostics sont avant tout cliniques et les blocs sensitifs décrits plus haut sont en général amplement suffisants pour préciser le niveau lésionnel.
Quels sont les traitements possibles ?
– Le traitement est d’abord conservateur puisqu’il n’y a aucun risque de voir se développer une atteinte motrice. On peut se permettre une infiltration d’un dérivé cortisonique pour hâter la guérison qui est toujours longue. On peut y associer un traitement anti-inflammatoire per-os et local, une orthèse limitant les mouvements du poignet et du pouce, des séances de désensibilisation cutanée . Le courant TENS peut s’avérer efficace et en raison de son innocuité, mérite toujours d’être essayé.
– Le traitement chirurgical s’adresse aux cas vus tardivement, aux échecs du traitement conservateur et aux cas traumatiques :
– Si l’atteinte est liée à un processus local compressif identifié, il faut évidemment le supprimer. – L’intervention vise à libérer la BSR. L’incision cutanée sera décalée par rapport au trajet du nerf pour éviter une cicatrice cutanée sur la zone de neurolyse.
– Il faut éviter toute manipulation intempestive du nerf et ne faire à priori qu’une épinévrotomie. La susceptibilité de ce nerf contre-indique a priori une neurolyse interfasciculaire extensive.
– Si cela s’avère nécessaire, on peut se permettre la résection partielle- en particulier s’il existe une variante anatomique locale avec un tendon surnuméraire ou dédoublé- ou totale du tendon du brachioradialis.
– Certains auteurs, dans le cas de reprises itératives, ont décrit la possibilité d’une greffe mais la dernière solution est la section de la BSR en amont de son point d’émergence. Le moignon proximal doit être enfoui dans la face profonde du corps musculaire du brachio-radial.
Conclusion :
L’identification du syndrome de Wartenberg avant d’entreprendre le traitement chirurgical d’une ténosynovite de Quervain est essentielle. Elle peut prévenir la survenue d’éventuelles complications post-opératoires imprévisibles et éviter des conséquences médico-légales désagréables. En tenant compte de l’histoire de la maladie grâce à un interrogatoire précis et en réalisant un examen clinique attentif, la valeur et le résultat du traitement choisi sont très prévisibles.